Je dois une des plus belles peurs de ma carrière à Franck, un élève adorable qui, lors de la première séance, s’est assis devant moi en souriant. Comme d’habitude, j’ai commencé par me présenter, puis je lui ai posé quelques questions histoire d’adapter mes arguments à sa personnalité et ses désirs. J’ai défini les bases de la séduction, ses étapes, la façon de conduire une communication… A chaque nouvelle information, il hochait la tête pour acquiescer et prenait des notes. C’est quand j’ai commencé à lui parler des émotion, origine et conséquence de l’amour, que notre entrevue est partie en vrille… Ils’est d’abord arrêté d’écrire. Comme il me fixait, j’ai cru être allé trop vite dans mes explications. Je lui ai donc demandé s’il comprenait le propos que je venais de lui tenir, mais il a fait mine de ne pas entendre. J’ai répété la question, mais il restait toujours silencieux, tout en me fixant de ses grands yeux bleus… Vexé de ne manifestement pas être écouté, je me suis exclamé : « Eh ! Ça ne vous intéresse pas ce que je dis ? ». Toujours pas de réponse. J’ai crié : « Franck ! On se réveille ! » en claquant des doigts en l’air. Mais il restait toujours aussi immobile qu’une statue, son stylo dans la main. Je me suis levé, j’ai agité mes bras, j’ai crié, toujours sans recevoir le moindre mouvement en réponse. C’est là que j’ai commencé à comprendre qu’il y avait un malaise. Un gros malaise. Il clignait des yeux, donc il n’était pas mort, c’était déjà ça… J’ai contourné le bureau pour le pincer fort, pour lui crier dans les oreilles et lui passer la main devant les yeux, mais il restait désespérément de marbre, le regard rivé sur le fauteuil sur lequel j’étais précédemment assis. J’étais perdu, je n’avais jamais vécu ni entendu parler d’une telle situation. Je me suis rassis devant lui, mon menton dans une main, tout en essayant de trouver une solution. J’avais initialement un homme en face de moi, agréable, manifestement intelligent, qui s’était transformé pour des raisons qui m’échappaient complètement en une statue sans vie. Il devait y avoir une explication, mais laquelle ? Au bout de quelques minutes, je me suis souvenu que j’avais le numéro de sa mère, je me suis donc précipité pour la contacter : « Bonjour madame, vous êtes bien la mère de Franck ? Ecoutez, ça fait au moins vingt minutes qu’il est devant moi, et qu’il me regarde sans bouger, j’avoue que je commence à avoir peur ! »
– Oui, ça lui arrive quelque fois, dit-elle avec un naturel désarmant. Vous avez parlé d’émotions ensemble ?
– Heu… c’est un peu mon boulot !
– Alors c’est tout à fait normal ! C’est un tout petit problème psychiatrique, mais ne vous inquiétez pas, dans une heure ou deux, il se réveillera !
– « Ha bon ?
– Oui oui, il n’y a aucun problème ! Patientez un peu, ne vous inquiétez pas !
J’étais d’accord pour ne pas m’inquiéter, mais qu’est-ce que j’allais faire de ce mec ? J’avais d’autres rendez-vous après lui, moi ! Je ne pouvais quand même pas le foutre dans un placard pour recevoir les élèves suivants ! J’ai raccroché… Franck continuait à me fixer en souriant. Au bout d’une dizaine de minutes, il a ouvert la bouche et a bafouillé : « Je suis d’accord, monsieur Harris »… Je me suis joyeusement levé : « Franck ! Enfin, vous êtes revenu ! Vous allez bien ? Vous allez bien ? ». Il a immédiatement compris qu’il avait fait une nouvelle « crise », mais il ne se souvenait de rien. J’ai donc terminé mon cours de séduction en évitant soigneusement de lui parler d’émotion, ce qui ne fut pas évident… Puis je l’ai libéré en lui faisant cadeau de la séance, après avoir essayé de lui expliquer laborieusement qu’il n’avait pas besoin de mes conseils.