Le début de cette « déviation » m’apporta ainsi, à ses débuts, une de mes plus grandes réussites professionnelles : à 22 ans, je suis arrivé à produire un film d’entreprise pour la plus grande entreprise de vente directe en France (la vente directe, c’est le toc toc, le porte à porte). Et ce, en deux mois seulement. L’idée m’est venue après la visite d’un commercial de l’entreprise en question, qui voulait me vendre un abonnement. Ses arguments peu aiguisés m’ont convaincu de proposer un film vidéo de formation pour commerciaux à son entreprise. Grâce à l’ANPE, j’ai trouvé un super directeur de production, spécialisé dans les films d’entreprise, puis j’ai réussi à prendre rendez-vous avec Michel Dérange, le directeur commercial de l’entreprise en question. Mon énergie était au plus haut. Je m’exprimais bien, j’enfonçais toutes les portes.

J’utilisais cet effet paradoxal de la crise de manie : multiplier les compétences. Je me souviens d’une réunion dans la grande salle de l’entreprise, avec le directeur commercial, le directeur financier, quelques autres employés, mon directeur de production et moi-même. Du haut de mes vingt-deux ans, je menais le débat ! La qualité de ma communication était digne d’un homme politique. Mon directeur de prod écrivit le contrat, j’ai rédigé le scénario du film qui s’intitula : La séduction dans la vente directe. Le rôle principal fut attribué à… Christian Plantu ! On s’est bien marré à faire le casting. Un jour, un mec, qui devait jouer le client, est arrivé avec un CV de trois pages. A côté, la facture mondiale de l’ONU, c’est un ticket de monoprix ! Christian, qui était pourtant un comédien pas mal expérimenté, et moi-même, étions impressionnés. Le CV en question, c’était un dictionnaire des maisons de production de France. Il avait travaillé avec tout le monde Il apprend donc son texte, on place la caméra, les projecteurs et « Action » ! Christian faisait le vendeur, il frappe à la porte. Le mec ouvre et commence à parler : « Oui, bonjour ? » Christian s’arrêta alors net et me lança un regard amusé. Le pseudo comédien avait prononcé les deux mots avec un ton tellement éloigné du rôle qu’il était censé interpréter que la situation était (presque) cocasse. On a tout de même repris la scène une fois de plus puis nous l’avons renvoyé avec un « On vous rappellera » ! Une fois Depardieu reparti, nous avons tous éclaté de rire ! Puis on a relu son CV. Au milieu des maisons de prod reconnues, il y avait écrit : « Marc Dorcel ». Il s’agissait certainement d’un figurant professionnel, sauf peut être en ce qui concerne cette dernière production…