Avec ce boulot auprès de Roland, le contact avec les mannequins était devenu possible, et assez éloigné de celui que j’essayais de construire en faisant le pieds de grue à l’entré de Lord. J’essayais donc, de manière systématique, de séduire les filles qui venaient hanter l’agence pour récupérer des photos, toucher leurs cachets, passer un bonjour à Roland ou mieux, découvrir le nouveau booker que j’étais.

Ma stratégie dégoulinait de simplicité : je leur proposais de se revoir à l’extérieur de l’agence, histoire de se connaître un peu mieux… Ma première touche fut avec Lorie. Elle me donna rendez-vous rue Rambuteau, juste à côté d’Universal. Hélas, il y avait avec elle une dizaine d’autres mannequins, et il ne s’agissait pas que de femmes… Le groupe, assis autour d’une table, buvait de l’alcool, parlait fort, les pieds sur des chaises, affectant une décontraction manifestement surjouée. « Alors, c’est toi le petit nouveau ? T’es un peu jeune pour être booker ! » me lança l’un d’eux lors des présentations. « Hey, t’as intérêt à nous en trouver plein, des casting, sinon, peine de mort ! ha ha ha ! ». Je mourrais d’envie de lui répondre que je cherchais surtout à baiser ses copines, et que ses castings, il pouvait se les mettre où je pense… Mais je n’ai bien sûr rien dit et, avec un sourire poli, je me suis assis avec eux. J’aurais bien aimé que Lorie reste près de moi pour me protéger de ce milieu hostile, mais elle préféra s’assoir à l’autre bout de la table, à côté d’une de ses amies, avec laquelle elle s’est mise à rire en oubliant définitivement mon existence…

J’étais complètement perdu dans ce groupe soudé par un travail commun et par plusieurs années de vie à courir derrière les castings… Ils riaient ensemble, se racontaient des anecdotes sur les défilés qu’ils avaient fait, sur des castings bizarre. Eloigné de ma place de booker « dominant », j’étais devenu un intrus noyé et écrasé, parmi ceux dont j’avais pourtant en partie la responsabilité. J’imagine que leur souhait étaient de me démontrer qu’ils n’étaient pas sensible au « principe d’autorité », et que le chef, contrairement à ce que l’on pouvait croire, c’était eux… Quand le serveur me demanda ce que je voulais boire, ma réponse fit rire tout le monde car, comme à mon habitude, j’ai commandé un lait mentheJ’ai répondu de manière très laconique à deux ou trois questions qu’ils estimaient marrantes, et je me suis levé en lançant un regard vers Lorie : « Salut ma belle. On se revoit à l’agence ! ». Elle me répondit d’un geste vague de la main et reprit sa conversation avec son amie… La drague en agence, ça commençait mal.