Mes yeux brillaient néanmoins encore, et j’étais à chaque fois dépité en constatant que les castings qui étaient proposés à Universal ne me concernaient pas. J’étais soit trop petit, soit trop jeune, soit plus simplement du mauvais sexe…

Heureusement, je m’étais également inscrit dans ces agences aux prétentions plus modestes que celles des agences de mannequins : les agences de « comédiens ». L’une des plus sérieuses d’entre elles, Cocmodel, me proposa un casting pour faire une photo publicitaire. En regardant le titre de mon book, le directeur artistique leva les yeux vers moi :

– Vous êtes un mannequin d’Universal ?

– Tout à fait. Mais je travaille aussi pour Cocmodel… le marché du modèle masculin est en baisse, vous savez… »

– A qui le dites-vous… Mais attention, si on vous prend, c’est bien Cocmodel que l’on paye, pas Universal !

– Tout à fait : c’est eux qui m’ont envoyé à votre casting !

– Très bien… Vous correspondez pas mal à ce que l’on cherche, et vos photos sont très réussies. Alors, peut-être à bientôt ». J’avais un peu l’impression d’être une vielle paire de basquet présenté par Pierre Cardin lui-même…

Ce que j’avais espéré a fonctionné : le directeur de casting a vraisemblablement affirmé à son client qu’il avait trouvé un mannequin de chez Universal, certainement pour justifier ses prétentions financières, car Cocmodel me téléphona quelques jours après pour m’annoncer la bonne nouvelle : j’avais remporté le casting. Je faisais des bons partout, j’ai acheté du champagne, j’avais réussis mon entrée chez « les grands », et j’allais en conséquence rencontrer « des grandes ».

La séance photo eut lieu au jardin des Tuileries. Il s’agissait d’une photo pour décorer un encart publicitaire pour certains journaux, son but était de recruter des commerciaux pour une grande entrepriseLa société avait investi des sommes impressionnantes : maquilleuse pro, photographe venu exprès d’Amérique, camion rempli de vêtements, loccation du jardin des Tuileries… Mais il y avait un problème énorme que leur argent ne pouvait pas prévoir : entre le casting et le jour du shooting, j’avais perdu une canine. Ce trou dans ma dentition était visible et très, très disgracieux. Le shooting devait donc se terminer par une catastrophe, c’est-à-dire aboutir sur des photos inutilisables, car j’étais censé rire sur les clichés. J’étais le seul coupable, car j’aurais dû avertir l’agence, qui aurait alors trouvé un remplaçant. Plutôt mourir… Heureusement, le photographe a trouvé une solution géniale. Il m’a demandé de rire devant l’appareil photo en plaçant mon poing serré devant la bouche style « yes, j’ai réussis ». Le « trou » fut de cette manière dissimulé par ma main, et le résultat fut étonnant… je fus donc, malgré tout, bien payé…