Quel devait être la principale activité de l’agence de mannequins que je venais de créer à Montpellier ? Recruter des jolies filles, bien sûr ! Plein de jolies filles ! Pour y parvenir, il était hors de question que je perde mon temps, en mémoire aux techniques parisiennes, à hanter les boîtes de nuits à la recherche improbable d’une anorexique au visage parfait. J’ai choisi de faire plus efficace : j’ai diffusé des petites annonces dans deux journaux de Montpellier : le 34 et le Gratuit. Ma requête était simple : « Agence de mannequin Universal recherche filles 18-25 ans, 1m70 minimum, pour défilés ou photos ». « 18-25 ans » et « 1m70 minimum »… C’était des critères un peu sélectifs pour la région, mais il faut paraître sévère pour être crédible.
Ensuite, il a fallu se faire connaître des clients. Des photographes en particulier, parce qu’il n’y avait pas de défilés de mode tous les jours à Montpellier… Pour cela, j’ai engagé un stagiaire d’une école de commerce. Notre technique était directe: il appelait un photographe de la région et prononçait la phrase clé de Roland Dieu : « On a de nouvelles filles, est-ce que vous voulez les voir » ?
Enfin, il faut faire une étude de marché. Habituellement, on fait une étude de marché pour savoir si l’activité en question est viable, et ce bien sûr avant de la lancer… Dans mon cas, ça a été l’inverse. De toute manière j’étais déterminé à faire marcher mon affaire à plein régime que le marché soit favorable ou pas, même si je devais offrir gratos mes modèles aux photographes de la ville, même si je devais me déguiser en Paco Rabanne pour distraire mes mannequins…
L’étude de marché fut rapide. A l’époque, il n’y avait qu’une seule agence de mannequins dont le siège était installé dans un bled près de Montpellier. J’ai téléphoné à la directrice de l’agence en question (Pinup Modèle) en me faisant passer pour un nouveau photographe.
– Bonjour madame, je suis un photographe parisien, et je viens juste de m’installer à Montpellier !
– Je vous écoute, fit-elle d’une voix glaciale.
– Je vous appelle pour une première prise de contact, car je vais sans doute avoir besoin de modèles.
– Je vois. Je suis habituée. Alors je ne sais pas comment cela se passe à Paris, mais mes modèles ne travaillent pas pour un tarif inférieur à 7.
– « Bien sûr ! », ai-je rétorqué, toujours aimable.
– Et avant tout casting, je dois connaître, le commanditaire et le tarif précis. Et je souligne que nous ne faisons pas de charme.
– C’est noté madame. Je ne manquerai pas de faire appel à vous dès que possible. Merci et à bientôt.
J’ai raccroché en souriant, car cette femme connaissait manifestement le mannequinat et la communication autant que moi l’économie de la nouvelle Zélande ! Elle imposait sa loi avant même le premier casting ! Elle était probablement détestée par tous les pros de la région, mes affaires s’annonçaient juteuses…
Quand la première petite annonce parut, trois filles m’appelèrent dans la journée. Je n’aurais donc plus besoin de draguer : les plus belles filles de la ville allaient venir à moi d’elles-mêmes !!!