Comme je diffusais pas mal d’annonces, entre autres pour trouver mes mannequins, je lisais parfois, par curiosité, les offres d’emploi. Une d’entre elles retint mon attention : un complexe de vacances recherchait des commerciaux pour la saison en Crète… Le voyage, le séjour et les repas étaient payés. Le parfait bon plan pour des vacances à l’œil. J’en ai fait part à Jean-David et, avec lui, nous avons facilement passé l’entretien de recrutement. Peut-être un peu trop facilement… Le chef de vente, une jeune femme, m’a cordialement serré la main au bout d’une demi heure en me souhaitant « bienvenue au club » ! Jean-David a eu droit au même traitement et nous sommes arrivés sous le soleil de la Crète, quelques jours plus tard, pour travailler dans l’environnement paradisiaque de Cluby : plusieurs villas, des piscines partout, des appartements de luxe, juste à côté de la mer…

Chez Cluby, il y avait deux sortes de commerciaux : les « chercheurs » et les « vendeurs ». Jean-David était dans la première catégorie. Il devait dénicher les prospects de la manière suivante : quand dans la ville de « Héraklion », il entendait un couple parler français, il leur sautait dessus en s’exclamant : « Oh ? Vous aussi vous êtes français ? D’où est ce que vous venez » ? Quel que soit la réponse, il poursuivait ainsi : « Ha bon ? Moi aussi je viens de cette ville ! Quelle coïncidence… A mon avis, c’est la meilleure ville de France ! Alors du coup, j’ai un truc super sympa à vous proposer : vous voyez le sac que je tiens dans ma main ? Et ben vous pouvez piocher un papier, et si vous gagnez, vous aurez droit à un superbe radio cassette rien que pour vous ! Allez-y, essayez ! » Jean-David proposait toujours le sac en premier à l’homme, qui tirait un papier sur lequel, systématiquement, était inscrit « perdu ». « Ho, quel dommage » ! Disait mon ami avant de proposer le même paquet à la femme qui elle, bien entendu, piochait « gagné »… Le couple était alors invité à retirer leur superbe, magnifique, extraordinaire gain à la villa de Cluby. Tout ce qu’on leur demandait en échange, c’est d’écouter quelques instants un « vendeur », qui débutait son argumentation en disant : « je n’ai rien à vous vendre, je veux juste vous présenter le plus beau club de vacances du monde, et vous faire passer un bon moment ». le piège, c’est qu’on leur apprenait, une fois à la villa, qu’ils devaient rester assis avec le commercial pendant 1h30 afin de recevoir le cadeau…

La chef de vente a formé les vendeurs, auquel je faisais partie, pendant une semaine, huit heures par jour, pour que nous soyons capables de fourguer le club. Toutes es techniques de persuasion que j’ai apprises pour la séduction, en 25ans de travail, étaient utilisées pour faire signer le client. Par exemple, le « principe du contraste » : les touristes devaient s’engager à utiliser le club pour acheter leurs vacances pendant une durée de deux ans. Mais, le commercial ne proposaient pas les choses comme cela, il disait plutôt : « vous vous engagez pour une durée minimum de 25ans, pendant laquelle vous pourrez donc profiter du club pour prendre des vacances fabuleuses n’importe où sur la terre ». Les clients faisaient alors la tête : 25ans ! Ce n’est pas un engagement anodin ! Le commercial poursuivait alors : « mais vous avez la possibilité d’essayer notre club pendant 2ans, pour commencer. Si vous êtes satisfait, et vous le serez, vous déciderez de passer à 25ans ». Les clients respiraient : 2ans, c’est tout à fait convenable par apport à 25. Le principe de rareté était utilisé ainsi : « j’ai un questionnaire à vous faire remplir parce que ce club ne convient pas à tout le monde ». La preuve sociale » aussi: le commercial écrivait et soulignait en rouge que le club comptait un million d’adhérents. Vrai ou pas qu’importe, si un million de personnes se jettent dans un ravin, il faut les suivre ! On appliquait aussi le « principe des affinités » : dès le début de l’entretien, le commercial parlait de lui pour se trouver des points communs avec les clients, qu’il inventait la plupart du temps. Idem pour le « principe de réciprocité » : le commercial offrait systématiquement un verre aux touristes, même à ceux qui disaient ne rien vouloir boire… Toutes les réactions des clients étaient prévus et les réponses apportés sur un plateau. Par exemple si le couple faisait la gueule, le commercial devait dire « Ben qu’est ce qu’il y a ? J’ai un bouton sur le nez ou je ressemble à votre belle mère ? » Si le couple voulait partir, ils entendaient cette phrase : « Vous voulez partir ? Mais si vous êtes restez jusqu’à présent, ce n’est pas par politesse, c’est parce que vous êtes intéressés n’est ce pas ? » le commercial devait faire des compliments pour se faire aimer, parler des signes du zodiaques pour paraître sympathique, et leur dire un secret pour gagner leur confiance. Il apprenait également par cœur des phrases pour détendre l’atmosphère, du genre : « On va faire un jeu, d’accord ? Allez, tout le monde habillé dans la piscine ! Non, je plaisante ! Remplissez moi plutôt ces deux feuilles et écrivez moi dessus la destination de rêve auquel vous voudriez vous rendre en vacances ». Et l’homme et la femme écrivaient sans se consulter le pays « idéal ». Le commercial lisait et s’exclamait : » Ho la la ! Vous voulez partir chacun de votre côté ? » L’ensemble de son argumentation était émaillé de ce genre de manifestations préméditées destinées à détendre et à mettre en confiance. Dans quinze pour cent des cas, le client s’engageait à partir en vacances avec « Cluby » pour 2 ans.

Je notais scrupuleusement les conseils de la formatrice, dans l’intention de les adapter plus tard à mon activité de coaching en séduction.

Maintenant, s’il nous faut évaluer la morale du processus, il y a un point majeur et indiscutable : le but de la séduction est de rendre deux personnes plus heureuses, ce qui légitime à mon avis les techniques amoureuses qui paraissent les plus amorales. De même, si Cluby est un excellent centre de vacances, alors pourquoi n’emploierait-il pas des techniques de persuasion ? Si au final tout le monde est content, ce serait une erreur de parler de « Techniques de manipulation »…