C’est dans les Pages jaunes que j’ai découvert les agences de mannequins qui me feraient bosser. Pas énormément, mais réellement.

Ces agences de mannequins ne recrutent pas sur petites annonces, loin de là… Elles font appel à des « talents scouts », des véritables mecs qui voyagent à travers le monde, notamment dans les pays de l’Est, qui fouillent méticuleusement les universités ou les boîtes de nuit pour repérer des jolies filles, des bombes qui s’ignorent. Les miss, à côté, c’est des boudins. Il faut en effet savoir que pour se présenter à un concours de miss, il est interdit d’être mannequin de profession. Du coup, les miss, c’est souvent des nanas qui ont été refusées en agence, ce qui explique leur médiocrité par apports aux vrais modèles « pro ». Avec des exceptions, bien sûr… Quand j’aurais la chance d’être l’adjoint du directeur d’Universal, le sujet était un bon sujet de rigolade. On se repassait les vidéos des élections de miss, et on se foutait de leur gueule : « Regarde celle-là ! C’est une « Bergerac » ! C’est pas un nez qu’elle a, c’est une péniche ! ».

Les candidatures spontanées sont généralement rejetée. Un mannequin, c’est un « produit » qui doit être construit, et qui revient donc très cher. Cher en formation, en relooking, en photos, et parfois même en chirurgie esthétique, sans compter la rémunération du personnel qui s’occupe quotidiennement d’eux… Les critères pour devenir un mannequin sont ultra sélectifs : Un mètre soixante dix de taille au minimum, voire un mètre soixante treize pour les défilés. Les mensurations ? 85-60-85 avec seulement quelques centimètres de « tolérance ». Pour les hommes, c’est pire, car ils sont moins demandés. J’ai dû me faire jeter d’au moins une dizaine d’agences. Les Réponses à mes candidatures étaient toujours les mêmes : « Un mètre quatre-vingt deux, c’est trop petit ; dix neuf ans, c’est trop jeune ; vos joues ne sont pas assez creuses ; ou, tout simplement, on ne recrute plus personne… » Cette dernière est la pire des réponses, car on sait vaguement que ce n’est pas vrai. On se bichonne pendant des heures, on sélectionne ses photos, on se sape avec attention, et à peine a-t-on mis un pied dans l’agence que le premier booker qui nous aperçoit nous lance : « On est complet, on ne prend plus personne ! »… Menteurs ! Mais la frustration qui en découle ne m’empêchera pas de prétexter parfois la même chose quand j’aurais ma propre agence de mannequin…

En attendant, aucune agence ne voulait me recruter, et la perspective de fréquenter des mannequins, voire plus si affinités, et pourquoi pas de travailler un peu, s’amenuisaient progressivement… En désespoir de cause, je me suis posté à l’entrée de la célèbre agence Lord, espérant draguer les mannequins qui en sortiraient… Au bout de cinq minutes, une magnifique fille d’environ dix-sept ans, grande et squelettique comme il faut, poussa la porte… Elle avait l’air désagréablement absorbé, mais j’avais à peu près préparé mon attaque :

– Bonjour Mademoiselle, c’est incroyable ! Je suis l’assistant d’un grand producteur de film, et nous cherchons exactement une jeune fille dans votre genre pour le deuxième rôle du film que nous sommes en train de préparer…

Elle me jeta un regard suspicieux, puis elle me sourit, et me dit avec un accent de l’est à couper au couteau :

– J’aimerais beaucoup faire cinéma, comment s’appelle film, et quoi parle t-il ?

– « Euh, c’est une histoire d’amour… Soft, hein, bien sûr… Avec Richard Bohringer en premier rôle. C’est l’histoire d’un mec qui tombe amoureux d’un mannequin.

– C’est super! Et comment s’appelle le réalisateur ?

– Euh… Il n’est pas encore très connu, il s’appelle, euh… Martin, mais il est promis à un grand avenir… C’est d’ailleurs pour cela que Richard Bohringer a accepté de travailler avec lui. Si vous voulez, donnez-moi votre numéro de téléphone, on en reparlera devant une coupe de champagne, ce qui me permettra de vous faire lire le scénario !

» Mes espoirs étaient limpides : une fois le numéro de téléphone en poche, j’aurais toujours dix mille excuses à fournir pour que l’histoire du film soit oubliée : « Je me suis fait viré… je suis partit pour travailler sur une autre prod… ou : le long métrage à capoté parce qu’il manquait 2 millions »… Mais la réponse de la belle fut cinglante :

– Je ne peux pas vous donner téléphone parce que je suis dans agence Lord, c’est ici. Vous devriez les voir et leur expliquer projet à vous, moi être Helena.

Et après un sourire poli et rapide, elle s’éclipsa sur le champ…

Pensant que son refus était dû à son jeune âg j’ai de nouveau appliqué ma stratégie avec application. Au bout de plusieurs tentatives, je maîtrisais les noms des comédiens, le nom du réalisateur, du producteur, et même le synopsis du film. Je fleurissais le tout avec une ou deux anecdotes… Mon histoire tenait debout, ma confiance et ma crédibilité se construisait peu à peu.

Les mannequins qui sortaient ou rentraient de l’agence m’accordaient chaque fois un peu plus de temps. Du moins, quand elles parlaient français… Bien sûr, à mes premiers mots, elles me prenaient pour un dragueur, car elles se faisaient aborder 10 fois par jour, mais quand je développais mon discours construit et plausible, elles accrochaient un peu plus à mes lèvres, et me posaient des questions qui trahissaient leur intérêt. De sorte que j’avais, à chaque fois, l’espoir de repartir avec leur numéro. Mais, dans le meilleurs des cas, elles me donnaient leur composites (un morceau de carton avec trois ou quatre photos), et me suggéraient, invariablement, de rentrer en contact avec leur foutue agence.

J’apprendrai plus tard que les bookers qui s’occupent d’elles leurs interdisent formellement de donner leur numéros privés, notamment pour des raisons professionnelles. « Les photographes, les producteurs ou les organisateurs qui pourraient s’intéresser à vous, disent-ils, doivent impérativement passer par l’agence avant de vous proposer un casting. Et s’ils ne le font pas, c’est que leur propositions, c’est ou de la drague déguisée ou du boulot très mal payé… ».

C’est bien entendu pour ne pas perdre un client potentiel qu’ils conseillent ainsi leurs pouliches, mais ce genre de recommandations m’a fait poireauter devant l’agence pendant deux ou trois heures pour des nèfles… Je suis rentré chez moi en nourrissant de sérieux doutes quand à l’avenir sentimental de ma virée sur Paris. Rejeté par les agences et par les mannequins eux même, je finissais par me demander ce que je foutais dans cette capitale de m…