Evidemment, Sophie n’avait pas accepté que je dorme avec elles, mais cette aventure m’avait donné une idée pour déserter mon squat. Je suis retourné à la faculté « Porte Dauphine et j’ai placardé sur les murs, sur la photocopieuse, sur tous les espaces disponibles, des dizaines de petites annonces : « Jeune mannequin parisien, 19 ans cherche à partager studio ou appart ». Le portable n’existait pas encore, j’ai donc mis le numéro de téléphone de Jean-David, qui avait gentiment accepté de faire office de répondeur.

Le soir même, j’ai reçu ce qui fut le seul et unique appel : une jeune fille au pair me proposait de partager son appart. Elle vivait dans un grand studio, à Neuilly-sur-Seine, à proximité de la famille fortunée dont elle gardait parfois les enfants.

Curieusement, elle ne me posa aucune question. Elle me fit visiter son appart, gentiment, comme si elle le vendait, puis tira un matelas de sous son lit : « Tu pourras dormir ici si tu veux »… Un peu que je voulais !

Elle était hébergée gratos, et on n’a pas parlé des conditions financières. Elle ne m’a pas non plus demandé d’où je venais, ce que je faisais à Paris, combien de temps je comptais rester… Rien. Elle était juste d’accord pour m’héberger. Incroyable. Ca m’évitait au moins de mentir sur mon prétendu métier de mannequin…
J’avais maintenant un numéro de téléphone, un vrai lit, une salle de bain, et bientôt, évidemment, une sexualité régulière… Ou presque…

Ma colocataire s’appelait Ophélie. Physiquement dans la moyenne, elle me rappelait très distinctement ma mère plus jeune telle que je la voyais sur de vieilles photos. Ophélie étudiait le chinois à Dauphine et avait, paraît-il, un petit copain espagnol qui vivait loin d’elle, provisoirement… Sa discrétion initiale, pourtant accompagnée de douceur, me faisait un peu peur. On aurait dit un loup qui tournait autour de sa proie… L’avenir donnera raisons à une partie de mes inquiétudes.

Notre avenir sexuel était entendu. Comment imaginer qu’un couple, aussi illégitime soit-il, dorment côte à côte, dans un endroit clos, sans histoire érotique ? Les premières nuits, je m’allongeais gentiment à ses côtés, l’air de rien. « Bonne nuit Ophélie, à demain… ». J’ai attendu trois jours avant de monter sur son lit. Elle m’a accueilli sans dire un mot, comme par habitude et, toujours aussi aimablement, m’a embrassé tendrement. Je lui ai enlevé délicatement sa petite culotte en coton et je suis rentré en elle doucement. Malheureusement, je n’ai remué les reins que deux ou trois fois avant la fin de la partie… Circulez, y a rien à voir !

– Je suis désolé… Je ne sais pas pourquoi je… Je ne comprends pas, bredouillai-je…
– Ça ne fait rien, me dit-elle en me prenant dans ses bras.

Piteux, je suis descendu sur mon matelas et je me suis endormi, attribuant l’échec humiliant à l’absence d’exercice…
Mais le lendemain, le scénario fut identique. Je monte, je l’embrasse… Et « game over » immédiat…. « Ça ne fait rien mon chéri, je te promets que ce n’est pas grave du tout »… D’accord, ça fait rien, ça fait rien, mais ça fait chier quand même un petit peu ! J’étais devenu éjaculateur précoce ou quoi ?
Le lendemain soir, pareil. Le surlendemain, itou. Impossible de résister à la monté immédiate du plaisir… Prenant exemple sur les ébats entre Aurore et Sophie, je faisais durer les préliminaires autant que je le pouvais, mais le résultat était pire. Je tenais cinq secondes à tout casser, même en me concentrant désespérément sur le visage du concierge ! Initialement désemparé, je commençais à être réellement effrayé… Je suis allé acheter des préservatifs « ultra résistants » à la pharmacie, mais l’échec restait systématique. Je n’étais plus un homme…

La réponse de ma partenaire, qui avait pourtant toutes les raisons d’être frustrée, était toujours la même : « Ce n’est pas grave mon chéri ». J’avais l’impression de ne pas m’acquitter de notre contrat tacite : « Un endroit pour dormir contre des relations sexuelles satisfaisantes ». Je faisais un piètre gigolo… Je décidais alors de me déculpabiliser : Et si c’était ELLE la coupable ? Son vagin était peut être « spécial », impropre à une consommation sexuelle normale ? Malheureusement, en réponse à mes interrogations gênées, elle m’assura que c’était la première fois que cet « événement » se produisait…
Je finis par me résoudre à faire comme tout le monde : en l’absence de réponse logique à une question « humaine », je suis allé déterrer Freud, histoire de me rassurer : mon inconscient était probablement à l’origine de mes problèmes. Celui-ci voyait l’image de ma mère en Ophélie, et décidait d’interrompre le champ le processus incestueux. Devant le constat de mon impuissance, ou plutôt, de son contraire, je comprenais l’intérêt de la psychanalyse, car je n’avais pas d’autre choix que de l’appeler à ma rescousse.