J’ai toujours aimé donner des cours de maths. Quand j’étais gamin, je voulais devenir prof de maths. Pas pour les vacances ou les grèves récurrentes, mais parce que je pensais qu’ainsi, je pourrais dire et faire ce que je voudrais, y compris les plus grosses bêtises, personne ne pourrait en déduire que j’étais bête : j’étais forcément intelligent, puisque j’étais prof de math ! Cette idée à disparu de mon esprit quand j’ai compris d’une part qu’il n’y avait aucune relation entre les maths et l’intelligence, d’autre part parce que je serais certainement muté dans le nord de la France pour mes premières années d’enseignement, et enfin, tout simplement, parce que je suis progressivement devenu nul en maths…

Il n’empêche que, pour le plaisir, je donnais des cours particuliers de mathématiques à des collégiens que je « recrutais » via les petites annonces : « Prof de maths propose cours de soutien à domicile pour collégiens tous niveaux ». Le mensonge était subtil : je n’étais pas professeur de maths agréé, mais je l’étais quand même, puisque je donnais des cours de math, aussi « particuliers » soient-ils ! De toute façon, j’avais un bac scientifique, ce qui était largement suffisant pour expliquer le théorème de Pythagore à un quatrième. C’est de cette façon que j’ai rencontré Eude, un garçon intelligent, calme et feignant en math, qui devint un ami.

Un détail marrant : la première fois que je me suis rendu à son domicile, j’ai compris ce que le désordre voulait dire. Je parle du vrai désordre. Le bordel. Ses parents ne jetaient strictement rien, et amassaient tout où ils pouvaient. Dans les chambres, dans la cuisine, dans le salon, et même dans le couloir, où des montagnes de détritus montaient sur chaque cotés du mures boîtes en plastique, des morceaux de ficèle, des sacs divers… Il ne restait qu’un étroit chemin entre ces déchets pour marcher. La seule table à peu près libre pour travailler, c’était celle de la cuisine, mais nous fumes néanmoins contraint de repousser un tas d’immondices de manière à pouvoir poser le cahier sur lequel nous étions censé travailler… Je dis « censé », car Eude était passionné de musique, et si, au début, je l’aidais à bosser ses maths – avec succès car Eude était doué – les choses ont rapidement évoluées. Après quelques séances, c’est lui qui me donnais des cours de musique ! Nous allions hanter Pigalle, le quartier national de la musique, et ce, à chaque fois que les parents d’Eude programmaient un cours de maths. J’étais donc payé pour me balader avec Eude de magasin de guitares en magasin de synthétiseurs… Quelle honte, tout de même…

Nos pérégrinations nous ont un jour conduit jusqu’au BackLine, un magasin de Pigalle qui débordait de guitares et de basses. Entre deux Gibson, nous avons fait la connaissance d’un musicien étonnant : Vincent, un des fondateurs du groupe Vulcain, le seul groupe qui faisait de la concurrence à Trust. Je le connais maintenant très bien, et je pense que la vie a gentiment offert à ce bassiste la « force tranquille » : une confiance intrinsèque, une diplomatie inconditionnelle et, surtout, une certaine réserve, interprétée par certains néophytes comme de la timidité. Lors de notre première conversation, je lui ai fait remarquer qu’il devait certainement vivre des moments inoubliables avec son groupe. Mais il me répondit qu’il passait davantage de temps à régler des conflits avec des enfoirés qui ne voulaient pas les payer, qu’à chanter. Sa réponse m’a initialement sidéré : comment peut-on être aussi blasé quand on a fait la première partie d’Iron Maiden à Bercy ? Ou quand, à la fin d’un concert, on paye un mec à l’entrée des coulisses pour refuser la plupart des groupies, surtout celles qui n’ont pas de guitare psy ? Je pense que Vincent n’a tout simplement pas envie de mettre en valeur sa réussite . Ou bien, il est victime de l’accoutumance, le pauvre : les victoires, y compris les plus intenses, se transforment toujours, avec le temps, pour devenir des situations banales. C’est la raison pour laquelle nous passons notre vie à courir derrière des mirages… Le suicide de Maryline Monroe n’est pas si stupéfiant que ça. En tant que coach en séduction, je clamerais plus tard que seul l’amour peut entrainer un bonheur pérenne !