Les étudiants faisaient la grève et manifestaient contre une décision politique dont je me moquais éperdument, qui, si elle avait été votée, aurait conduit les facs à n’accepter en première année que les élèves ayant des bons dossiers. « Injustice ! » criaient les jeunes. Opportunité, me disais-je. Opportunité pour draguer, bien sûr, car dans les manifs, il n’y a pas que des moutons poilus, il y a également quelques jolies jeunes filles… J’ai fais croire à Béatrice, un sosie de Nolwen que j’avais déniché au milieu du cortège, qu’il me fallait absolument trouver le président de la manif. On l’a recherché ensemble pendant un moment mais, bien heureusement, on a fait choux blanc. Béatrice s’est retrouvée sur ma moto, puis devant un verre, puis dans un restau, puis dans mon lit.

Nous partagions le même sens de l’humour. Elle était en fac de droit, (elle était major, chapeau…) et un de ses profs était le maire de Montpellier, Georges Fresh. lle prenait sa grosse voix et l’imitait à merveille. C’était à mourir de rire. Le soir, nous fumions ensemble des cigarettes un peu fortes, et nous nous amusions à faire des paris juvéniles : qui serait assez fort pour faire tenir un crayon sur le téléphone ? Ou une gomme sur un réveil ? Nous écrivions également sur un cahier une phrase chacun, racontant une histoire qui devenait toujours plus ou moins délirante et souvent délicieusement cochonne. Un jour, je lui ai amoureusement demandé : « Et si je mourrais, tu pleurerais ? » Elle m’a répondu avec génie : « Tu sais bien que je pleure pour un rien ! ». Trop fort… Dans un autre registre, nous écoutions en boucle a Chanson des vieux amants en sanglotant avec Jaques Brel. Bref, nous partagions des émotions. Jusqu’à en devenir inséparables.

Par contre Béa était un rien parano, elle n’acceptait pas que je parle ou même que je regarde une autre fille qu’elle. Un jour, par exemple, je buvais un verre avec Virginie, une simple amie (je vous assure !), sur la Place de la Comédie. Mais Montpellier est une petite ville et Béatrice nous a surpris. Elle s’est dirigée vers nous avec un regard de tueuse. Je m’attendais à un sermon, à des insultes, a une séparation en direct, mais Béatrice s’est contenté de prendre le verre de Virginie et de lui jeter à la figure. Puis elle a tourné les talons sans un mot. Virginie venait d’être victime d’une regrettable erreur de justice…

Béatrice m’a néanmoins démontré un jour que l’intuition féminine peut exister. Ca s’est passé la semaine où Jean-David et moi sommes allés au Club Med.

Dans l’avion, je pensais au ski nautique, à la piscine et à la plongée. Mais au bout de quelques jours au club, je passais plus de temps à boire (c’était gratos) avec Jean-David et quelques autres amis alcoolique qu’à faire du sport. Et le drame arriva : un soir, entre le 15eme et le 16eme verre, une nana est venue parler à Jean-David. Mais celui-ci n’était plus en mesure de soutenir une conversation. Il était vautré sur la table et n’a pas répondu un seul mot à la jeune allumeuse. Elle s’est alors tournée vers moi, et j’ai rassemblé mes forces pour lui tenir des propos cohérents. Elle a dû en conclure que j’étais moins ivre que mon compagnon, donc que j’étais en état de « fonctionner », et m’a entraîné dans sa chambre… Ce n’est que le lendemain que j’ai compris mon erreur : non seulement j’avais trompé Béa, mais en plus, la fille en question était une grosse américaine présidente d’une grosse société qui me considérait comme un pénis avec deux pattes. La honte, quoi… A mon retour, la réaction de Béatrice m’a réellement bluffé : « Je sais que tu as eu une aventure, m’a-t-elle déclaré, en larmes. Pas deux, une. Mais cette relation me fait énormément mal ». Comment diable avait elle pu savoir que je n’avais eu qu’une relation ? Elle avait mis un micro dans mon slip ? Elle m’avait filmé depuis un satellite ? C’est incompréhensible, d’autant plus qu’elle était en larme, ce qui indique qu’elle n’avait pas une présomption, mais une réelle certitude… Depuis, je rigole beaucoup moins quand une fille me parle de son intuition féminine…

L’année de mes vingt-six ans, je suis allé à Manhattan avec Jean-David. New York est une ville hallucinante, mais c’est durant ce voyage qu’un incroyable malentendu a marqué la fin de mon histoire d’amour avec Béatrice. Avec mon ami, nous avions consulté, pour rire, un voyant américain. Il m’a conseillé de dire davantage « Je t’aime » à ma compagne. Détail rigolo : Jean-David a reçu le même conseil, malgré son célibat… Je suis conscient que ces voyants sont tous plus ou moins des charlatans, mais ils sont également tous plus ou moins de bons psychologues. J’ai donc appelé plusieurs fois Béa en PCV en demandant à l’employé du téléphone de dire à Béatrice que « Je t’aime » voulait lui parler. J’ai appris trop tard, par ma mère, que cet abruti n’a pas dit « Je t’aime » à Béa, mais au contraire, « Je ne t’aime plus ». Je suppose que le mec en question était mal payé, ou qu’il a voulu s’amuser, qu’importe, le fait est que la réaction de Béa fut extrême, si ce n’est stupide : elle a décidé de ne plus jamais me parler. Le portable n’existait pas encore, et pour la contacter, j’étais obligé d’appeler ses parents qui, systématiquement, me raccrochaient au nez. Ma mère, des années plus tard, m’a expliqué ce qui s’était réellement passé, et a ajouté que Béa avait pleuré pendant des mois, ce qui expliquait la haine de ses parents à mon égard. Moi, j’en avais seulement conclu que Béa ne voulait plus me voir par lassitude, ou parce qu’elle s’imaginait avoir été trompée une nouvelle fois. Mais en aucun cas je n’avais pensé à un scénario aussi mortellement ridicule.

Je suppose que Béa est maintenant magistrate, mariée quelque part avec un médecin à la con, qu’elle a des enfants intelligents et une jolie maison, mais peut être qu’elle pense encore à moi, de temps en temps ? Ma seule consolation, c’est que si ce malentendu ne m’avait pas volé Béa, je n’aurais peut-être jamais rencontré Mimi, la femme qui me permit d’avoir deux adorables filles… Mais je paierais tout de même cher pour savoir de quelle façon le temps s’est occupé de Béa…