Il me fallait des photos pour mon book. A tout prix. Des photos professionnelles, sans lesquelles je ne pourrais jamais être embauché par une grande agence. Des revues homosexuelles exposées dans un kiosque à journaux du boulevard Saint-Michel me donnèrent une idée. Il y avait six à sept titres de magazines « masculins » diffusés à l’époque. Sur leur couvertures, des mecs. Beaux, souvent, mais aussi parfois moyens. J’avais donc toutes mes chances. J’ai feuilleté le premier journal qui me tombait sous la main, mais les modèles étaient dans des positions tellement obscènes que mes espoirs d’avoir de beaux clichés s’envolèrent. Et puis je n’avais aucune envie d’être photographié en me tripotant… Je remis donc le mag en place, pour en prendre un autre. Le mec du kiosque me jetait des coups d’œil méprisants, mais je me voyais mal me justifier : « Je ne suis pas PD, monsieur. Je cherche juste un moyen faire des photos pros… » Pourquoi est-ce que j’étais gêné par l’image que je donnais à ce mec, puisque que je ne le connaissais pas, et que je ne le verrais plus jamais ?

C’est la revue Gay Pieds qui me parue la moins cochonne. Il y avait pas mal de mecs qui posaient sans pour autant exposer leur machin turgescents… J’ai mémorisé le numéro de la rédaction et je me suis barré illico presto, histoire de ne pas m’humilier davantage aux yeux du vendeur. en achetant le magazine…

A peine rentré chez moi, j’ai décroché mon téléphone :

– Bonjour monsieur. Je suis mannequin professionnel et je souhaiterais poser pour votre revue, ai-je annoncé au mec du standard.

– Ne quittez pas. Je vous passe la personne concernée, répondit une voix aïgue.

Le photographe qui pris mon appel me posa quelques questions par politesse, puis me convoqua pour le lendemain.

Comme à mon habitude, je suis arrivé avec une demi-heure d’avance. Dans la rédaction du journal, il y avait des mecs, et que des mecs, qui couraient dans tous les sens, le nez plongé dans leurs dossiers. J’étais assis dans la salle d’attente et, à 15 heures précises, la porte s’ouvrit. A ma grande surprise, c’est une jeune fille adorable qui s’adressa à moi. Ses cheveux longs et noirs mettaient en valeur son rouge à lèvres vif. Sa jupe en cuir laissait apparaître de longues jambes fuselées.

– Vous êtes Patrick Harris ?

– Oui, j’ai cet honneur ! Et je suis très riche et très intelligent ! » dis-je en rigolant.

– vraiment ? Ah ah ! Euh… Michel ne va pas tarder. Il est en shooting à l’extérieur, mais il va peut avoir un tout petit peu en retard parce qu’on est en plein bouclage.

– Vu l’agitation ici, je m’en suis douté ! Vous êtes l’assistante de Michel ?

– Oui, juste pour quelque temps. Son assistant habituel est souffrant.

– Il est en congé maternité ? Ironisai-je » Elle ne compris pas la plaisanterie. J’ai donc enchaîné : Et vous, vous êtes de la famille de Michel, ou une de ses amies j’imagine ?

– Oui, comment le savez-vous ?

– C’est simple : vous êtes la seule femme de la rédaction, ce qui indique que vous n’avez pas été embauchée « par la voie normale ! »

– C’est sûr, vu le sujet qu’on traite !

La glace était brisée, il ne me restait plus qu’à prendre son numéro de téléphone. Affectivement, elle devait forcément se sentir très seule. Se faire draguer, pour une jolie fille, c’est une sorte de drogue : les dragueurs sont méprisés par la gente féminine, mais celle-ci ne peut pas s’en passer. Entourée par tous ces homos, notre petite assistante devait être en manque : l était hors de question que je la laisse s’envoler., et j’avais sur moi la dose dont elle avait besoin :

– En tout cas, je suis ravi d’avoir affaire à une fille, ça change ! Vous vous appelez comment ?

– Noémie.

-« Super prénom… Dis-moi Noémie, si je peux me permettre de te tutoyer, moi aussi je m’intéresse énormément à la photo, et j’aimerais beaucoup faire ce que tu fais. Seulement je ne connais rien au milieu. C’est un peu pour ça que je suis là, d’ailleurs… Est-ce que tu pourrais me donner des conseils, histoire que je puisse moi aussi devenir assistant d’un photographe, et pourquoi pas, par la suite, photographe moi-même ?

– Des conseils ? Si ça s’arrête aux conseils, avec plaisir !

– Génial ! Donne-moi ton numéro, je te fixerai un rendez-vous pour qu’on en parle.

Et, comme si l’échange de coordonnées était une formalité entendu, j’ai sorti un calepin et j’y ai noté le début de la victoire : son numéro.

Une fois dans le studio photo, j’ai rappelé à Michel les règles que j’avais imposées : pas de photo porno, pas d’érection, un slip, et du noir et blanc artistiques… Il disait « oui oui » à tout. Comme un répondeur. J’avais l’impression que dans l’hypothèse où je lui demandais de me prendre de dos, il aurait accepté, et surtout au sens propre ! Puis, il me demanda gentiment de me déshabiller. Cette étape était nécessaire, mais j’ai obtempéré avec dégout, je me donnais un peu l’impression d’être un objet… Mon slip ne lui plaisait pas, et il m’en a donné un autre. Je me suis tourné pour l’enfiler, mais j’imagine que son regard n’a pas quitté mes fesses. Le salaud.

Le shooting commença. Derrière moi, un grand linge blanc était tendu. Michel enchaînait les injonctions, me demandant de me tourner, de lever un bras, de me toucher les cheveux, d’avancer une jambe… Je comprenais clairement la désagréable impression que les mannequins nourrissaient, selon laquelle ils étaient traités comme des objets sans cervelle. Pire : je ressentais à l’avance les milliers de regards lubriques que les lecteurs de Gay Pieds hebdo poseraient sur mon corps, en lisant leur journal d’une seule main…

J’ai néanmoins été correctement payé, j’ai pu mettre quelques photos pros et décentes de cette séance dans mon book, et j’avais rencontré Noémie, mais j’ai classé l’expérience dans le dossier « a ne plus faire ».