C’était de la folie, et c’est justement ce qui m’a plu : je me suis joint à un groupe d’une dizaine de motards, pour traverser une partie du Sahara marocain sur des 600 trails. Comme d’habitude, c’est Jean-David qui m’avait embarqué dans ce plan galère… J’ai déduit de cette aventure une profonde réflexion sur le racisme, vous allez comprendre :
Nous nous sommes arrêtés un jour auprès d’un magasin de météorites dressé en plein milieu du désert. Enfin, quand je parle d’un magasin, il s’agissait en fait d’une tente pour le vendeur, et de grandes étagères en bois sur lesquelles étaient disposées des centaines de pierres, soi-disant tombées d’une autre planète. Sous chaque météorite supposée, il y avait une petite affiche qui indiquait la provenance : Saturne, Jupiter, Lune, etc.
La personne qui m’expliqua l’intérêt de la chose était l’unique client du lieu, et lui aussi, semblait venir d’une autre galaxie. Il vivait avec sa femme dans un camion qu’il avait transformé en camping-car. Il sillonnait le désert à la recherche de météorites susceptibles d’être revendues dix ou vingt fois plus cher dans un centre spécialisé en France. D’après ce professionnel, le désert marocain était un des seuls terrains qui lui permettait d’exercer son activité de chasseur de pierres extra-terrestres. Le côté pédagogique, c’est que la seule caractéristique qui définit une météorite de valeur : c’est sa rareté. Il me désigna une jolie pierre en disant : « Celle-là, tu vois, c’est une météorite de lune, elle ne vaut pas un clou parce qu’il y en a partout. Par contre celle-là, ajoutait-il en s’emparant d’un caillou plus terne, elle est moins belle c’est vrai, mais elle est censée venir de Jupiter, elle est donc extrêmement rare c’est-à-dire extrêmement recherché, c’est-à-dire extrêmement chère. Bon, dans le cas présent, c’est une fausse… Sinon, je l’achetais direct ».
Le « principe d’indisponibilité » est parfaitement illustré ici. Beaucoup de femmes considèrent en effet ce qui rare comme ayant de la valeur. Inconsciemment, elles pensent : lui, il est difficile à « attraper », c’est-à-dire qu’il est « rare », donc il est « cher », donc il est « intéressant », et elles se battent pour le conquérir… C’est un raisonnement un peu rapide… Les hommes ne sont pas des météorites, des meubles anciens, et encore moins des pierres précieuses. Cela explique en partie pourquoi certaines femmes tombent amoureuse d’homosexuels, indisponibles par définition. Mais l’erreur qui consiste à considérer ce qui est rare comme ayant de la valeur est répandu, et pousse les publicités ou les commerciaux à clamer « attention, série limité ! Dernière offre avant rupture de stock ! Demain il n’y en aura plus! » Etc…
Néanmoins, qu’il soit justifié ou non, le principe d’indisponibilité a suffisamment de puissance pour être jugé utile par le séducteur, qui ne doit donc pas s’offrir « comme un plat de nouille » à la femme qu’il convoite. Outre la confusion entre ce qui est rare et ce qui est cher, ce principe s’explique également par une autre erreur de raisonnement : notre tendance à croire que notre liberté est en danger si un objet qui pourrait peut être servir se raréfie.
Pourquoi croyez-vous que les femmes déploient des trésors d’imagination pour se faire désirer ? Elles refusent le premier baiser alors qu’elles sont déjà folles de vous ; elles arrivent une heure en retard au rendez vous, alors qu’elles piaffent d’impatience de vous retrouver ; ou encore, elles font mine d’avoir une autre relation alors qu’elles n’ont pas vu une biroute depuis trois ans… C’est parce qu’elles veulent éviter l’effet « plat de nouilles ». Et je dois dire, ma foi, qu’elles ont raison : ça marche souvent. Avec quelques nuances, car certains affectifs ne sont pas réceptifs à cette tactique, au contraire. Une fille qui, après avoir lu certains guides américains, réponds systématiquement à une invitation en disant : « je ne sais pas si je peux me libérer », pourrait bien contrarier définitivement son soupirant.
Pour revenir à mon rallye, les motards étaient parfois accompagnés de leurs épouses qui les suivaient dans un véhicule tout terrain. J’avais repéré un couple qui battait de l’aile : la fille ne regardait pas souvent son homme et, les rares fois où elle lui adressait la parole, c’était avec un ton méprisant. Une nuit, nous avons tous dormi dans une tente immense dressée au milieu des dunes de sable. Nous étions les uns à côté des autres mais, une fois la nuit tombée, la fille en question s’est levée pour aller dormir loin de son cher mari… Pour venir s’étendre près de mon duvet… J’ai attendu que la nuit tombe complètement, et comme il n’y avait pas de lune, en me guidant à la lumière d’un briquet, je me suis serré auprès d’elle. Je lui ai glissé à l’oreille un mensonge qu’heureusement je n’ai pas eu à développer : j’ai prétendu que son mari m’avait exposé le différend qui les opposait et que je trouvais parfaitement justifié qu’elle lui en veuille. « il faut que tu te venges, et je veux bien être ton complice… » lui ai-je susurré en lui caressant la joue. Nous avons fait l’amour dans son duvet alors qu’il y avait au moins quinze personnes autour de nous. J’avais l’impression de cambrioler une banque…
Deux jours plus tard, quelqu’un avait enlevé la bougie de ma moto… J’imagine que la fille avait tout avoué à son mari, et qu’il me l’avait fait payer. Je n’ai pas rouspété, j’étais déjà bien heureux de ne pas m’être fait casser la gueule. J’ai mis ma moto dans la carriole du véhicule.
Le lendemain, j’ai donc voyagé dans la grosse voiture avec les trois filles qui accompagnaient leurs chers et tendres. En plein désert, vers les 13 h, alors que nous n’avions pas croisé une seule voiture de la journée nous avons, pour une raison inconnue et surprenante, crevé une roue. Le 4×4 a vacillé puis s’est arrêté sur le chemin de sable. Nous étions catastrophés : pas assez d’eau, pas de réseau pour le portable, et personne pour nous secourir. La seule solution aurait été de monter la roue de secours, et j’étais le seul homme, mais je suis incapable de changer une ampoule grillé, donc une roue de 4×4… Nous nous sommes assis sur le sable en pleurnichant, jusqu’à ce que, au bout de quelques heures, un nuage de poussière se forme à l’horizon un peu comme dans un western. Les filles ont sauté de joie : une voiture était en train d’arriver vers nous, nous étions sauvés ! Enfin, nous étions sauvés… C’est ce que les filles ont pensé, mais personnellement, je m’inquiétais un peu. Si les passagers de la voiture en question étaient des « gentils », ok, mais s’ils étaient des « méchants » ? Ils me casseraient la tête, violeraient les filles, et se barreraient avec le 4×4… Pas vraiment de quoi se réjouir… Une demie heure plus tard, la voiture, une vielle Renault 12 blanche, arriva à notre portée. Les filles se sont levées pour agiter les bras, mais je restais méfiant, en retrait. La voiture s’est arrêtée, et quatre Marocains en sont sortis en même temps. Je n’avais jamais imaginé mourir dans un désert… En réalité, les quatre hommes nous ont offert une heure de leur temps, les mains dans le cambouis, pour réparer la roue crevée, puis ils sont parti en souriant, sous nos ovations. Ils ne nous connaissaient pas, nous étions des petits touristes plein de fric, ils savaient pertinemment qu’ils ne nous reverraient jamais, et pourtant, ils nous ont considéré comme des amis… Je m’autorise donc à penser que le racisme inconditionnel n’est pas complètement fondé… Si nous avions eu à faire à des français, ils auraient probablement gentiment compatit en nous promettant d’avertir le prochain garage… à 400kms de là…