Mon agence de mannequins fonctionnait bien. Des filles venaient s’inscrire, je réalisais leur book, et je les envoyais aux photographes de Montpellier. En quelques années, j’ai piqué la maigre clientèle de Pinup Modèle , qui survivait néanmoins mystérieusement… Juste à côté de Montpellier, à Nîmes, la célèbre marque Cacoral organisait régulièrement des show room. (Présentation des collections aux clients). Quant aux photographes de la région, ils faisaient volontiers appel à mes services. Et puis, il y avait les heureuses contingences, comme lorsque M6 a souhaité engager une dizaine de mes filles pour tourner une émission dans une des boîtes de la Grande Motte.
Mais au-delà du commerce, d’un intérêt somme toute relatif, quelles étaient exactement mes relations avec mes mannequins ? J’avais créé une agence dans le seul objectif de déverser mon trop plein de sentiments amoureux sur les plus belles filles de Montpellier. Ma position de directeur me donnerait, pensais-je alors, une place en or pour y parvenir. En aucun cas je n’avais pensé que quelques remords déontologique me compliqueraient la tache, et pourtant, force est de constater que je ne parvenais pas à draguer sérieusement les mannequins qui s’inscrivaient dans mon agence. Il y avait un mur invisible et, chose exceptionnelle, un mur construit par ma propre conscience, qui m’empêchait de rester le « Patrick Harris » que j’avais décidé d’être. La belle était là, assise devant moi, ornée de son plus beau sourire, et pourtant, impossible de lui faire des compliments, impossible de l’inviter quelques part, et donc impossible de lui faire des petits bébés…
Je me bornais à mon rôle imposé, je restais un directeur en toutes circonstances, incapable de proposer un chemin affectif aux filles qui, pourtant, en majorité, étaient des proies faciles. Au fond de moi, l’hypothèse selon laquelle un mannequin se forcerait à coucher, dans l’unique espoir de travailler dans un milieu qui la faisait rêver, me rendait impuissant, à tous les sens du terme… J’ai toujours à la fois envié et détesté les producteurs de cinéma qui couchent avec les comédiennes. Envié parce que leur vie amoureuse devait être bien rempli, mais détesté parce qu’ils couchent, en général, avant de tenir leur promesses. Ils assurent à la belle un avenir en or, ils la baise, puis ils lui expliquent les raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas tenir leurs engagements. (Exactement comme en politique !) La différence avec la prostitution, c’est que dans le cas d’un échange rue Pigalle, le client doit payer avant, alors que dans le show bizz, la fille n’est que très rarement rémunéré pour ses services, si ce n’est par un rêve qui ne se réalise jamais. Je trouve ce processus tout à fait infâme. Malgré mes apparences de macho, serais-je en réalité un grand sentimental ? Pour soigner ce romantisme déplacé, je baiserais tout de même, de temps en temps, quelques mannequins, mais innocemment, c’est-à-dire uniquement en réponse à leurs avances, ce qui me permettrait des rencontres sexuelles tout à fait satisfaisantes, sans qu’un échange implicite « travail contre sexe » ne vienne, dans ma tête, altérer la qualité du rapport amoureux.
Par exemple, quand Alice s’est présentée à mon bureau, son discours m’a permis de retrouver mes instincts de bases. Elle venait par pure curiosité, elle ne voulait pas vraiment devenir mannequin, mais comme elle avait du temps à perdre, elle désirait savoir à quoi ressemblait une agence. Elle était mignonne comme un cœur, et ronde comme une déesse grecque de l’antiquité. Elle n’a nullement été déçut quand je lui ai fait remarquer que, malheureusement, les mannequins à la mode étaient toutes anorexiques. Elle se tortillait sur son siège en me lançant des coups d’œil qui n’auraient trompé personne. Mais je fus pris d’une crise de sincérité. Ca m’arrivait parfois : Je lui ai dit, dans la conversation qui n’avait plus rien à voir avec le mannequinat, que j’avais 4 ou 5 « relations sexuelles amicales » en même temps. Elle m’a répondu une phrase qui m’a scié : « Moi je serais ravie d’appartenir à ton harem. Et de toute façon ne t’inquiète pas, j’ai moi aussi quelques copains… ». Qui disait que les femmes ont besoin de sentiments pour passer à l’acte ? Moi ? Zut…