Un matin, trois flics sont venus me rendre visite. J’ai ouvert la porte, et ils ont pénétré chez moi, après m’en avoir poliment demandé la permission, sans toutefois attendre de réponse. « Que se passe-t-il ? » ai-je demandé. L’un d’entre eux m’a montré une feuille officielle sur laquelle figurait le mot « proxénétisme ». Je me suis défendu comme un beau diable, j’ai juré qu’il s’agissait forcément d’un malentendu, que j’étais parfaitement innocent, et d’autres affirmations qu’ils avaient sans doute déjà entendues des centaines de fois, de la bouche de criminels, de dealers ou, justement, de proxénètes… Ils m’ont d’abords gentiment mis une paire de menottes, puis ont procédés à une sympathique perquisition. Si vous avez déjà assisté à une perquisition à la télé, y compris dans un documentaire, et ben vous ne savez pas du tout comment cela se passe. En fait ils ont aimablement tout cassés… Ils ont pris l’ensemble des vidéos d’une étagère, et les ont a jetés par terre. Ils ont vidés de la même façon, avec soin, toutes les armoires, les dossiers de mon bureau, les habits, la vaisselle, fragiles ou pas, et, un peu maladroitement certes, ont gaiement constitué une montagne d’affaires diverses au milieu de mon salon. Dans ma tête, un proverbe prenait tout son sens : « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».

Dans les premiers temps de ma naïveté infinie, je ne voulais pas croire un seul instant qu’on puisse me reprocher d’être un maquereau. J’avais beau chercher, je ne me souvenais absolument pas d’avoir suggéré à quelqu’un de coucher avec une nana, et surtout pour de l’argent… Mais au fur et à mesure que la montagne d’affaires se constituait au milieu de la pièce, j’ai compris que les suspicions policières puisaient leurs racines dans mes activités professionnelles. Présenter, contre rémunération, des femmes qui posent nues à des photographes amateurs était effectivement susceptibles de d’entrainer quelques légères ambigüités…

C’est donc à cause de légères ambigüités que j’ai passé deux journées et deux nuits en enfer. Je me doutais bien qu’il y avait quelques différences entre la garde-vue et le club Med : j’y avais déjà légèrement goûté le jour de mon arrivée à Paris et Jean-David m’en avait parlé, mais j’aurais presque préféré une semaine complète avec un contrôleur fiscal paranoïaque.

Ils ont pris ma montre, mes lacets et ce que j’avais dans les poches, et m’ont demandé de laisser mes empreintes digitales sur une feuille comme si j’étais un sérial killer, pour finir par me pousser dans une pièce aussi froide que la mort. Je me suis pitoyablement assis sur le banc, la tête entre les mains pour réfléchir à la situation. Si une de mes modèles avait eu une relation sexuelle avec un des photographes, et que l’un des deux avait porté plainte contre moi pour une raisons on ne peut plus « X », je serais considéré comme proxénète, avec, à la clé, dix ans de prison. Ça tombait assez mal : j’étais à quinze jours de mon mariage… Je considérais alors ce qui me permettrait de recevoir des grains de riz sur la tête comme une date relativement importante, et je n’avais absolument pas prévu de repousser la fête de dix ans…

Le lendemain, les flics m’ont interviewé. D’après eux, et je dis bien « d’après eux », une de mes filles se serait fait violer dans un bois après une séance chez un photographe. Elle aurait -curieusement avoué aux forces de l’ordre qu’elle se prostitutait et que le mac… ben c’était moi ! J’ai trouvé bizarre qu’une fille avoue aux flics se prostituer alors que rien ne l’obligeait à le faire, mais j’étais bien obligé de croire sur parole mes chers policiers, puisque je n’avais aucune autre explication.

Ils m’ont remis dans la cage mais, coup de bol, cette fois, je n’étais pas seul avec mes pensées suicidaires, j’étais accompagné par un autre criminel… Coup de bol supplémentaire : le mec était sympa et paraissait intelligent. Il avait cassé la vitrine d’un magasin d’informatique pour voler plusieurs ordinateurs. Il disait en souriant qu’il ne risquait pratiquement rien, car des ordinateurs visibles la nuit dans une vitrine, c’était un appel au vol ! Quand il m’a demandé pourquoi j’étais là, j’ai répondu un peu gêné :

– Proxénétisme. Mais attention, je suis complètement innocent ! J’ai rien fait du tout, c’est dans mon dos que ça c’est passé !

– Evidemment tu es innocent ! En garde à vue, tous les truands sont innocents ! ironisa-t-il.

-« Ah oui mais non ! dans mon cas, je te promets que c’est vrai !

– Raconte-moi.

Après avoir compris la situation, il m’a consolé et rassuré immédiatement:

– « La fille en question va certainement trouver des témoins en béton que tu ne connais même pas et, parce qu’elle est obligée, -par peur de représailles de la part du vrai maquereau-, elle va persister à dire aux flics que tu la consciemment envoyée vers des clients comme prostituée, et que tu faisais croire à tout le monde qu’il s’agissait de photographie. Tu auras le temps d’y réfléchir en prison… »

Si il avait été voyant de profession, le résultat aurait été le même : mon avenir tel que je l’espérais s’éloignait de mon esprit à la vitesse grand V. Malgré les 15 années sympas que je venais de passer, j’avais l’impression d’avoir complètement raté ma vie. Le principe d’indisponibilité y est sans doute pour quelque chose, car mon avenir tel que je l’imaginais se raréfiait, et des larmes ont coulées sur ma joue.

Nous avons tiré au sort celui qui aurait le plaisir de dormir sur le banc glacé et non sur les dalles, mais avoir gagné n’a rien changé : je n’ai pas réussis à fermer l’œil de la nuit. Vers 3 h du matin, je me suis même recroquevillé sur le banc pour laisser une place à mon camarade de jeu, mais lui non plus n’a pas réussi à trouver le sommeil. J’avais l’impression de séjourner dans le pavillon témoin d’une vrai prison, et franchement, ça ne me donnait pas envie d’acheter !

C’est donc dans un état lamentable que le lendemain matin, je suis sorti de là. Le flic qui est venu m’ouvrir la cage m’a rendu mes lacets et mes affaires, ce qui voulait certainement dire que j’allais être transféré. Puis, il m’a annoncé avec négligence, un peu comme s’il parlait du beau temps, que j’avais été blanchi : la fille qui m’avait mis en cause avait fini par avouer que je n’étais pas son mac, et que le proxénète, en fait, c’était son propre petit copain : je n’avais donc rien à voir avec l’histoire. Là-dessus, le flic me désigna la porte : « La sortie, c’est par là ».

J’étais trop sonné pour comprendre d’emblé que j’avais été victime d’une mini erreur judiciaire et que j’étais libéré, mais quand je me suis retrouvé dans la rue, j’avais l’impression d’avoir changé de planète. Il y avait de la vie, des gens sur le trottoir, des voitures, des arbres… Ce spectacle qui, contre toute attente, illustrait ma liberté, me paraissait tout simplement incroyable.

Que penser de cette joyeuse aventure ? D’une part que les poulets auraient dû s’excuser pour leur méprise. Enfoirés. D’autre part que j’allais arrêter l’agence de mannequin : trop dangereux. Enfin que j’allais pouvoir me marier avec Mimi pour réussir ma vie affective, et également ma vie professionnelle, à Paris… Grâce au principe du contraste, je crois que je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie les jours qui ont suivit ma « remise en liberté ».

A propos de Mimi, elle a reçut entre temps un enquêteur de personnalité censé recueillir des informations sur mon compte. Il lui a raconté salades sur salades, du style que j’avais en fait l’intention de me marier avec une autre, sans savoir que les préparatifs du -vrai- mariage étaient déjà fait… Son but était clair : que Mimi me déteste et dise des horreurs sur mon compte, car elle aurait pu avoir pour objectif bien compréhensible de se venger. Les méthodes des enquêteurs de personnalité sont tout de même un peu spéciales…

Maintenant, j’aimerais bien savoir ce qui peut expliquer les deux nuits que j’ai passé dans ce palace payé par le contribuable… Je suis à peu prêt convaincu que les flics m’ont raconté du pipeau, à l’instar de l’enquêteur de personnalité. Leur histoire de viol dans la forêt, ça ne tient pas la route. La réalité, à mon avis, c’est qu’Emma était une pute de luxe, ce qui expliquerait d’ailleurs qu’elle m’est proposée ses fesses de manière aussi surprenante, et qu’elle s’est embrouillée avec un photographe. Elle lui a fait une gâterie, puis lui a demandé trop d’argent, du coup il a porté plainte, ou un truc dans le genre. Ce qui est certain, c’est que si mon accusatrice n’était pas revenue sur ses affirmations mensongères, j’écrirais peut-être cette autobiographie en prison…