J’ai heureusement découvert des agences à ma portée : les agences de « comédiens ». Elles sont censées recruter des seconds rôles pour le cinéma ou pour des séries télévisées, des silhouettes (Des figurants dont on aperçoit le visage), des comédiens pour des spots de pub et, parfois, des mannequins. Elles sont moins sélectives que les agences de mannequins, car elles travaillent généralement avec des budgets inférieurs, notamment pour les photos de mode. Par exemple, si un magasine demande à un de ses photographes de réaliser un cliché mineur, c’est-à-dire avec une « enveloppe » faible, le photographe, s’il n’a pas le mannequin recherché dans ses archives propres, a la possibilité de se tourner vers une agence de comédiens.
Je me suis inscrit dans plusieurs de ces agences, comme Cocmodel ou Pople. En admirant les composites que certaines d’entres elles affichaient sur leurs murs, je remarquai un détail intéressant : certains mannequins étaient à la fois inscrit dans des agences de comédiens, et à la fois dans des agences de mannequins… Il est évident qu’un mannequin qui se présente à un casting avec un véritable book réalisée par une agence prestigieuse, mais qui est envoyé par une agence de comédiens moins onéreuse, a d’avantage de chance d’être sélectionné, puisque le directeur de casting va estimer que le « produit », puisque initialement recruté par une grande agence, est de meilleure qualité… J’ai alors eu l’idée de me procurer le book d’une grande agence et d’y intégrer mes photos. J’ai jeté mon dévolu sur une des agences star de l’époque : Universal.
Je me suis présenté à « Universal » sans savoir que cette agence changerait de façon radicale l’orientation professionnelle de ma vie. Surprise : « Universal » ne comportait que deux employés, deux bookers : un vieux et un jeune, autour du booking, la grande table ronde.. Dans le doute, je me suis adressé au plus âgé des deux en lui tendant mes photos : « Bonjour monsieur, j’imagine que vous ne recrutez plus de mannequin, mais j’aurais aimé savoir si vous n’auriez pas un vieux book usagé à me donner afin que j’y classe ceci. »
– Vous voulez devenir mannequin ? me demanda-t-il en m’inspectant de manière méprisante de la tête aux pieds.
– « Ben oui… J’ai des photos si vous voulez
Il me les prit des mains, et me les rendis après un bref coup d’œil.
– Photos d’amateur : lumière naze, cadrage approximatif, posture ridicule. Aucun intérêt. Quel âge as-tu ? »
– Dix-neuf ans. Je sais que je suis un peu jeune, mais bon, à tout hasard…
– Trop jeune ? Assieds-toi là mon grand, je vais te raconter une histoire. Un jour, un mec de dix-sept ans à tout casser s’est présenté à moi. Il était mignon, comme toi, et j’ai pris ses photos et je les ai mis dans le book « des jeunes ». Un mois après, y a un réalisateur qui est venu ici qui recherchais un blanc bec pour le deuxième rôle de son film. Il a pris le book, il a feuilleté un moment puis à choisit une photo en disant « C’est celui là qu’il me faut ». Il s’agissait du mec en question. Et tu sais comment il s’appelait, le petit ? Il s’appelait Pierre Cosso. C’est grâce à moi qu’il a fait La Boom », et qu’il est devenu une star. Maintenant, il travaille en Italie, et quand il boit des verres en boîte de nuit, il est payé pour ça ».
– « Ha bon ? Vous avez découvert Pierre Cosso ? Mais ce genre d’histoires, ça ne doit pas arriver tous les jours ? »
– Mais qu’est ce que tu racontes mon grand ? Des stars, j’en ai trouvé à la pelle moi ! C’est moi qui ai inventé les agence de mannequin en France, mon petit ! Tiens, prends déjà ça.
Il me remis un vieux book, mais, Dieu est grand, portant l’inscription « Universal » sur la couverture. Ma mendicité avait réussis. Le gars, qui s’appelait justement : « Roland Dieu», était le directeur de l’agence. Il me disait : « Tu veux travailler ? Tu veux en faire, des photos ? »
– « Ah, ce serait mon rêve… faire des castings, pour rencontrer des fem… euh… pour gagner de l’argent…
– Bon je vais m’occuper de toi. En échange, tu restes là et tu m’aides au booking : je manque de main d’œuvre en ce moment. Tu auras tes photos professionnelles, je vais t’apprendre le boulot et je vais t’envoyer à des castings.
C’est ainsi que je suis devenu l’adjoint d’une légende du mannequinat : Roland Dieu lui-même, créateur d’Universal, effectivement une des premières agences de mannequin à Paris. Il était en réalité en train de couler sa propre boîte. Il avait déjà viré, pour des raisons économiques, ses employés, et il envoyait régulièrement paître ses clients. Je l’ai un jour entendu dire à une agence de pub qui recherchait pourtant un mannequin : « Et ben si vous n’êtes pas content, allez vous faire foutre ! » Avant de raccrocher. Il se vengeait à sa manière de plusieurs années d’esclavagisme au service de ses propres clients. Il me disait : le premier qui met 1 million sur la table, il part avec mon agence…
Le marché tacite que j’avais convenu avec Roland Dieu me convenait tout à fait : mon rôle était de l’assister, de donner des castings aux mannequins, de répondre au téléphone… De son côté, il essayait de me faire travailler comme mannequin ou comédien. Il me présenta à un grand photographe, Nodal. Celui-ci parcourait le monde pour photographier les plus beaux mannequins de la planète, avec des budgets qui pourrait faire rêver n’importe qui. Il collaborait depuis10 ans avec Roland, et à sa demande, il accepta de me faire un book. Un vrai. Il fit de moi des dizaines de clichés, sur les rives de la seine, dans un parc, dans sa BM… Les photos obtenues furent une révélation : elles étaient si extraordinaires qu’il était presque impossible de me reconnaître ! Nodal, c’était le chef… Je me suis donc retrouvé grâce à Roland avec un book orné du nom prestigieux d’« Universal », et ce book contenaient des photos vraiment, vraiment magnifiques. Ma crédibilité était signée, à moi les castings, à moi les mannequins !