C’est une agence de comédien qui me proposa le casting, qui se situait dans un quartier un peu naze de la capitale. Le producteur me fit un résumé rapide de l’histoire : il s’agissait, entre autre, de deux amis qui viennent d’acheter des canoës Kayac et qui mourraient d’envie de les essayer. L’ennui, c’est que la rivière du coin, l’Hérault, était en pleine cru, ce qui rendait l’exercice dangereux. Mais les deux amis ne pouvaient pas attendre et ils se sont tout de même mis à l’eau. Comme de bien entendu, le plus jeune d’entre eux tombe à l’eau, plouf, quelques mètres avant une cascade monstrueuse. Il s’accroche au dernier moment à une branche et, tout en grelotant de froid, attends les secours improbables. On lui lance une corde, en vain. Le suspens est terrible… Va-t-il lâcher sa branche et mourir dans d’atroces souffrances dans les remous gigantesques de la cascade ? Va-t-il mourir gelé et se noyer ? Bref va-t-il crever comme un rat ? Tout le monde à peur… Et ben non, coup de théâtre, un de ses amis, professionnel du canoë kayac, arrive sur les lieux du drame et décide de pagayer difficilement jusqu’au jeune (con) qui s’agrippe alors à lui et retrouve la berge, sous les applaudissements de tout le monde. Elle n’est pas chouette cette histoire ? Non, elle est nulle, d’accord, mais moi, j’étais ravi d’avoir été sélectionné pour ce rôle, aussi léger soit-il. C’est le directeur de casting qui m’annonçât que j’avais été sélectionné. Il attendit néanmoins mon accord avant de m’avouer que je devais jouer le jeune imbécile… Je précise que nous étions en novembre, et que le film n’allait pas être tourné en piscine chauffée… De toute façon, ils auraient pu me demander de tourner avec des pingouins, à poil sur la banquise, j’aurais accepté !

Pour me choisir, le directeur de casting m’a demandé si j’avais déjà fait du canoë Kayac. Je lui ai répondu que j’étais né dans un canoë. (Il est vrai que lors de mes 15ans, j’avais un peu pagayé en piscine : le kayac n’avait plus aucun secret pour moi.)

Mais pour choisir le comédien qui devait jouer le sauveteur, ils n’ont pris aucun risque, et ont carrément embauché un prof de Kayac. Par contre, Fabrice, celui qui devait jouer mon ami, était aussi menteur que moi et n’avait en réalité aucune base en kayac.

Le sauveteur nous a donc emmenés à son club pour nous entraîner une journée. Pour parer à toute éventualité, j’avais enfilé ma combinaison de plongée, ce qui fit rigoler Fabrice, qui lui, monta dans le kayac avec des habits de ville. Le destin est taquin, tout de même, puisque c’est Fabrice qui se retourna pour se retrouver dans une eau à dix degrés, et qui dut regagner la berge à la nage…

Un lundi matin, nous étions avec l’équipe technique du film sur le lieu du tournage : dans mon pays, dans le 34. Je me souviens que quand on a traversé un des nombreux petits villages paumés de l’Hérault, le réalisateur a dit avec son accent parisien : « Il y a un truc que je ne comprends pas très bien : ils font quoi, comme travail, les gens qui habitent ici ? ». Personne n’a répondu…

Quelques jours après le début du tournage, le régisseur me montra l’endroit de la rivière dans laquelle j’étais censé tomber. En général, j’ai du mal à évaluer le risque réel d’une situation dangereuse, mais là, j’ai carrément paniqué. Les remous étaient vraiment, vraiment énormes, et la cascade gigantesque. Je me suis retourné vers le régisseur :

– C’est pas compliqué, lui ai-je lancé. Ou vous multipliez mon salaire par dix, ou je rentre à Paris ! Non mais vous avez vu où vous voulez que je barbotte ? Même pas en rêve !

– C’est vrai que là, on a un petit problème…, admit-il.

– « Non non, il y a un ENORME problème!

J’ai alors constaté la force de persuasion d’une équipe de film. Ils sont allé en amont de la rivière, jusqu’au barrage, et se sont débrouillés pour le fermer le temps de tourner la scène cruciale ! Ont-ils « arrosé » le responsable du barrage en question ? Je n’en sais rien, mais force est de constater que les remous se sont calmés et que nous avons pu tourner notre film. Sans m’augmenter, donc… Un film de très mauvaise qualité, en tout cas, puisque, pour prendre un exemple, en me ramenant sur la rive, mon pull s’est soulevé et a révélé ma combinaison de plongée à la caméra… Ce qui n’a gêné personne…

Ce qui a été dur, dans ce tournage, c’est l’abstinence sexuelle… J’avais des ampoules aux mains… J’avais néanmoins repéré la jolie assistante de régie, mais elle ne m’accordait strictement aucune attention. J’ai bien essayé de lui adresser la parole de temps en temps, gentiment, mais elle ne me répondait avec une tiède courtoisie. Je n’étais qu’un pion dans son boulot mal payé. Comme il n’est pas évident de travailler avec une femme qui vous a repoussée, j’ai patienté jusqu’au dernier soir pour lui faire des avances. Je suis monté dans sa chambre d’hôtel vers 22h. Elle m’a ouvert la porte, ahurie… J’ai expliqué ma présence ainsi :

– Je me suis fait super mal au dos en tournant aujourd’hui, tu sais, quand on m’a traîné sur la berge… J’ai vraiment besoin d’un petit massage sinon je ne pourrais pas dormir, et comme tu es la seule fille, j’ai pensé que tu pourrais peut-être t’occuper de moi. Tu es libre d’accepter ou non, bien sûr. (Persuader efficacement quelqu’un nécessite souvent de bien lui faire comprendre qu’il a la possibilité de refuser ce qu’on lui demande. D’après les études, cela multiplie par trois les possibilités d’acceptation).

Pour la première fois, sans doute émoustillée par ma demande manifestement insidieuse, elle abandonna son masque de régisseuse blasée, et me répondit en faisant semblant de protéger son intimité, comme une petite fille :

– Que je te masse ? Là, maintenant ?

– En tout bien tout honneur, ça va de soi…

Nous avons fait l’amour une partie de la nuit, mais à 7h du matin, elle m’a demandé de regagner discrètement ma chambre, histoire que les « autres » ne constate pas sa faute… En réalité, elle voulait surtout que le régisseur et le preneur de son restent convaincu de son homosexualité, car tous les deux lui avait déjà fait des propositions… maladroitement, j’imagine…