Malgré mon échec cuisant en agence de mannequins, ma motivation puisait toujours ses racines dans mon innocence sans borne : je rentrais dans les boutiques de mode, sur les Champs-Elysées, espérant glaner une adresse ou un numéro intéressant… Je venais d’essuyer un énième refus de la part d’une vendeuse embarrassée quand, sur le troitoir, j’ai croisé un homme d’une trentaine d’années. Cette rencontre allait être à l’origine d’un étonnant chapitre de ma vie. L’homme s’immobilisa devant moi en pliant les genoux : « Vous allez être heureux ! » me lança t il, les yeux grand ouverts. Je lui ai répondu : « Super ! Et comment ? ». Il me prit par l’épaule : « Viens, suis moi, je t’offre un verre, tu ne vas pas regretter ce que j’ai à te proposer ». J’étais ravi qu’on m’accorde autant d’attention, ça me changeais un peu… S’agissait-il d’un responsable d’une agence de mannequin ? Cherchait-il des mecs pour faire des photos, ou mieux, pour faire un film ? Etant donné son manifeste « coup de foudre », je devais correspondre exactement à la star de ses rêves ! J’étais emballé, mais ses explications me firent redescendre sur terre… Ce monsieur connaissait un homme infiniment riche, de sang royal, qui aimait la « compagnie » de jeunes gens comme moi… Malgré ma candeur, j’entrevoyais alors deux possibilités aussi noires l’une que l’autre : soit ce mec allait m’entrainer dans une histoire louche, voire très louche ou bien… le mec en question existait bel et bien, il était Roi, pourquoi pas, ou prince, ou frère de roi, ou Rotchild en personne, mais… il était homo. Et le monsieur qui ventait ses mérites était un de ses rabatteurs Devant son enthousiasme et son dialogue bien étayé, je penchais pour la deuxième solution. Il me restait à trouver un comportement en accord avec la situation qui m’apparaissait ainsi : le mec en question avait l’air d’être un personnage hors normes et je mourrais d’envie de le rencontrer. Une aventure aussi incroyable n’arrive qu’une fois dans la vie. Le hic, c’est que je n’avais jamais eu de rapports homosexuels et je n’avais pas réellement envie de commencer… C’est néanmoins dévoré par la curiosité que j’acceptai de rencontrer le chef suprême, feignant de me méprendre sur ses intentions… Exactement comme une femme qui accepte de monter dans la chambre d’hôtel d’un homme en disant : « En tout bien tout honneur ».
En réalité, j’étais transporté par un principe qui avait déjà fonctionné, souvenez-vous, avec mon désir pour Delphine : « le principe de rareté » Si il y avait des diamants partout, sur les routes et les montagnes, personne n’en voudrait car, étant disponibles, ils en perdraient toute valeur. S’il y avait des Monarque partout, cette aventure aurait été le dernier de mes soucis.

J’ai donc donné mon accord du bout des lèvres à mon rabatteur. OK, s’il n’y avait pas d’ambigüité, j’étais partant pour rencontrer le bonhomme… Le soir-même, le rabatteur et moi nous sommes rendus sur l’avenue Montaigne, qui coupe les champs Elysées. L’appartement de Sa Majesté se trouvait au deuxième étage d’un immeuble luxueux. Une fois dedans, je constatai que le rabatteur ne s’était pas foutu de moi… Des pièces de 100m2, des employés qui trottaient partout…. On me fit prendre place dans un des salons. Je repérai un Monet et un Van Gogh sur les murs. Des faux ? Pas sûr… C’est seulement à ce moment-là que le rabatteur vint prêt de moi pour m’avouer la vérité dans l’oreille : si je couchais avec Son Excellence, je gagnais dix mille francs, si il tombait amoureux de moi, je devenais millionnaire… ! Lui-même quand, parfois, l’illustre se douchait, il rentrait dans la salle de bain, et pouf, il lui faisait son affaire… Le rabatteur essayait même de me rassurer : « Et ne t’inquiète pas, il très, très gentil… » Etrangement, la situation ne me faisait pas peur, j’étais juste émerveillé par tout ce luxe, et je « mourrais d’envie de vivre » la suite des événements… J’envisageais de plaire à l’Empereur, et de m’en faire un ami « en or »… Comme d’habitude, j’étais à dix mille lieues de la réalité.

Après une bonne heure, c’est-à-dire après un siècle, une porte s’ouvrit furtivement et un homme jeta un regard dans ma direction. Puis la porte se referma doucement. J’imagine qu’il s’agissait du souverain qui venait jauger sa nouvelle prise… Une demi-heure passa encore… toujoursune éternité. Puis un des gardes du corps, aussi baraqué qu’un videur, vint vers moi et se pencha à mon oreille : « Monsieur va vous recevoir ». Je me suis levé pour le suivre dans un long couloir qui aboutissait à une porte noire. Le garde du corps m’ouvrit, et je suis rentré dans la chambre de sa grandeur. Il y avait des placards dorés partout et un immense lit à baldaquin, manifestement volé dans le château de Louis XV. L’homme était assis sur le matelas, les jambes serrées, la pointe des pieds touchant le sol. Ses longues mains fines étaient sagement posées sur ses genoux. Un sourire touchant éclairait son visage de femme. Je me suis assis en face de lui, et nous avons commencé à parler en anglais. Il me posait des questions à la façon d’un père protecteur. Quand il apprit que je voulais devenir mannequin, il m’informa qu’il possédait plusieurs agences de mannequins à Paris… J’ignore s’il était sincère, mais quand il me proposa gentiment de me rapprocher de lui, j’ai refusé aimablement : « Thank you, it’s all right » … Il me parla encore un peu par politesse, puis nous nous sommes levé pour diner autour d’une immense table qu’il présidait, entouré d’une bonne quinzaine d’employés. La nourriture, étonnamment, n’était pas exceptionnelle. A la fin du repas, un autre malabar me raccompagna dehors…

J’avais été réellement troublé par la tendresse et la féminité affiché par son éminence. Après tout, j’avais déjà sodomisé des dizaines de filles, pourquoi ne réussirais-je pas à prendre ce mec qui ressemblait à une femme ? Le lendemain, je retournai chez lui. J’étais aveuglé. Aveuglé par tant d’argent, par ce monde qui m’était complètement inconnu, et surtout, par ce que j’estimais être un gigantesque défi. Il fallait à tout prix que je me dépasse. L’homosexualité était une forme de sexualité comme une autre, je n’avais strictement aucun problème moral. Ce qui me gênait chez un homme, c’était sa virilité. Je devais faire un effort… baiser un prince qui ressemble à une princesse, ça devait être simple…

Avenue Montaigne, la porte était close. J’ai sonné à « gardienne » sur l’interphone, et une vielle dame d’une politesse glaciale est venue m’ouvrir : « Vous désirez ? ». je prétextai un rendez-vous avec un ami au deuxième étage. Elle me laissa rentrer sans dire un mot. Dans les escaliers, j’avais l’impression d’être un aventurier en quête d’un trésor…

C’est encore un malabar qui vint m’ouvrir et qui me fit assoir, sans un mot, dans le même salon que la veille. Au bout de quelques minutes, le rabatteur entra pour m’engueuler :

– Mais qu’est ce que t’as foutu hier ?
– Euh, je crois que j’étais impressionné… mais de toute façon il ne m’a fait aucune avance…
– « Bien évidemment ! Tu crois pas qu’il allait te violer aussi ? En attendant, toute la maison sait que j’ai ramené un hétéro endurcit à mon patron! Je risque ma place, moi !
– Ecoute, je faire mon possible cette fois, d’accord ?

Il repartit en rouspétant. J’ai attendu encore au moins deux heures avant que quelqu’un me propose d’accompagner le président et ses sujets à leur dîner. Je me suis installé dans une des nombreuses voitures, en direction des champs Elysées. A défaut d’être dans le même véhicule que le Général, je me consolais à la perspective de manger du foie gras chez Maxim’s… Erreur : c’est dans un snack que nous nous sommes arrêtés, pour manger des pizzas !

A notre retour, je me suis de nouveau retrouvé dans le salon dont je connaissais maintenant les moindres détails. J’étais en réalité moyennement motivé, notamment quand, après quelques instant, une appréhension sérieuse s’invita dans mon cerveau et me fit frémir d’effroi : j’étais à peu prêt préparé mentalement, mais qu’en serait-il physiquement ? Il m’était déjà arrivé de ne pas pouvoir durcir face à de jolies femmes, ce qui en soi n’est pas très grave, mais avec Bonaparte ? Et s’il ressentait mon absence de désir comme une humiliation ? Est-ce qu’il me ferait torturer par ses gardes du corps, ou pire ? e me suis levé en tremblant et me suis dirigé vers la porte en priant qu’elle ne soit pas verrouillée. J’ai descendu les marches sur la pointe des pieds…

J’ai donc quitté ce monde hallucinant pour retrouver ma pauvre voiture et le matelas crasseux de mon squat… J’avais l’impression d’être un clodo qui avait pénétré dans un coffre-fort empli de bijoux, et qui, par lâcheté illégitime, en était ressortit les mains vides.

J’ai évité le quartier pendant plusieurs mois de peur de rencontrer unes des connaissances de la famille royale. Enfin, quand je parle de famille royale, rien n’est moins sûr, car il est évident qu’on ne m’a raconté que du pipeau… De toute façon, à défaut d’une bistouquette, j’aurais avalé n’importe quelle histoire…