Commencer une ou plusieurs entreprises, c’est passionnant, mais mes projets étaient mes seules économies… J’ai donc été obligé de trouver des alternatives pour gagner de quoi être à peu prêt libre.
Je dois ma première « activité financière » à Georges Fresh, le maire de Montpellier. Il avait en effet créé dans sa ville un nouveau quartier appelé « Antigone ». Au départ, ce quartier ressemblait à une ville fantôme. Des routes, des résidences, une rivière, des arbres, mais pas de voiture, des trottoirs déserts et des appartements vides, quel que soit l’heure. Les opposants de Fresh clamaient que son idée était de la folie, et qu’Antigone resterait une zone inhabitée. A tort, car quelques années plus tard, Antigone est devenu un des quartiers les plus vivants de Montpellier. Ma chance, c’est que les promoteurs des résidences d’Antigone n’avaient pas cru bon de mettre des judas aux portes des appartements. Je suis donc allé en acheter en gros, à sept francs pièce, et je les revendais à domicile pour deux cent francs, pose comprise. Je passais de porte en porte avec ma perceuse portable et ma salopette bleue d’artisan. Au début, mon discours était le suivant : « Bonjour madame, vous m’avez ouvert sans savoir qui j’étais, cela aurait pu être un cambrioleur ! Je vends des judas pour éviter cela » ! Mais mes performances étaient ainsi moyennes. Progressivement, je me suis convaincu que mon produit était vraiment utile, et que je devais le fourguer par tous les moyens. J’étais peut-être envoyé de Dieu avec la mission de protéger les ménagères seules de l’après midi, qui sait ? C’est sur cette base, sujette à caution j’en conviens, que j’ai décidé de recourir à un argument de vente ignoble : le mensonge… Quand une cliente m’ouvrait la porte, mon discours était le suivant :
– Bonjour madame, j’ai été envoyé par l’entreprise Bourgeois et cie » à cause de l’agression de votre voisine du premier étage, je suppose que vous en avez entendu parler ?
La femme ouvrait grand ses yeux et bredouillait :
– Non, pas du tout. Que lui est-il arrivé ?
– Trois délinquants ont frappé à sa porte et, comme elle n’avait pas de judas, elle a ouvert sans savoir à qui elle avait à faire. Les trois forcenés l’ont aspergé de bombe lacrymogène et lui ont tout pris, tout, tout, tout… heureusement, elle va bien. Mais l’entreprise Bourgeois et cie recommande à tous les habitants de l’immeuble de s’équiper en judas. Je suis venu vous en proposer un pour deux cent francs, pose comprise. histoire qu’il ne vous arrive pas la même aventure »..
Deux fois sur trois, mon interlocutrice acceptait mon offre. Je faisais un trou dans sa porte, j’y glissais le judas, il y en avait pour une minute. Je gagnais ainsi jusqu’à deux mille quatre cent francs en quelques heures. Le tiers d’un smig…
Bien sûr, le mensonge que j’utilisais pour vendre mon service était anodin, presque risible, et pourtant, au bout de quelques semaines, j’ai été pris de remords et je suis revenu à mon premier discours. Je vendais moins de judas, mais je le faisais le cœur léger. Si c’était bien Dieu qui m’avait envoyé, il ne fallait pas le trahir !
Un jour, une splendide créature m’a ouvert en chemise de nuit très, très légère. J’avais déjà imaginé la situation en rêve, et je n’ai utilisé aucune stratégie de vente pour lui fourguer mon judas. Elle l’a tout de même acheté ! A la fin, je lui ai fait un chantage clair comme de l’eau de roche : « Bon, le judas, je vous l’offre, à condition bien sûr que vous m’invitiez à boire un verre. » Elle a fait mine d’hésiter… avant de m’accepter chez elle. Cela ressemblait à s’y méprendre à de la prostitution, mais personne n’était dans les parages pour la juger coupable. Au cours de notre discussion, j’ai fait en sorte qu’elle remarque dans un temps record que j’étais agréable, sociable, attentif, très cultivé, toujours drôle, plutôt sensible, peut être intelligent… Elle m’a fait elle, remarquer dans le même temps, qu’elle ne portait pas de culotte.
Ma deuxième activité financière ne nécessitait aucun effort de communication : quand il y avait une averse, j’allais vendre des parapluies sur la Place de la Comédie ! Les promeneurs coincés par le mauvais temps, qui s’abritaient tant bien que mal le long des murs, me voyaient arriver avec mes pépins plein les bras comme un sauveur ! Quand ils apprenaient le prix exorbitant de mes parapluies, ils râlaient un peu mais finissaient quand même, le plus souvent, par m’en acheter un. C’était de la vente forcée…
Enfin, un été, j’ai vendu des parasols sur la plage. Les vendeurs de glace, de boissons ou de beignet huileux ne manquaient pas, mais en ce qui concerne les parasols, ce fut certainement une première. Je parcourais la plage en hurlant : « En cas de pluie, en cas de neige, en cas de tempête, achetez un parasol pour vous protéger ! ». Les baigneurs, sous le soleil, riaient, et devenaient parfois des clients.
Bien entendu, j’utilisais le principe du pied au nez de manière instinctive. Le parasol coûtait au départ 300F, mais se vendait parfois à 100F, après une négociation à bâton rompu…