Une production télé proposait un magnétoscope pour tout participant à l’émission Conte à dormir debout, diffusée sur la Cinq. Je n’avais jamais entendu parler de cette émission, mais je me suis inscrit, autant par curiosité que pour le magnétoscope gratos…
Pour mon premier passage à la télévision, j’avoue que j’attendais dans les coulisses en tremblant. J’abordais toutes les filles qui passaient à ma porté : les maquilleuses, les techniciennes, les invitées… j’arrivais parfois à prendre un numéro de téléphone, mais obtenir un simple sourire participait à étouffer ma nervosité. Un technicien vient enfin à ma rencontre : « C’est à toi ! » lança-me dit-il en me poussant vers le plateau devant un nombreux public. L’animateur, Christian Plantu, vint à ma rencontre pour me donner les règles du jeu : « Bonjour Patrick ! Venez près de moi, je vais tout vous expliquer ! Comme vous le savez, l’émission s’appelle Conte à dormir debout. Pourquoi ? Hein, pourquoi ? Eh bien parce qu’avec le public, pendant que vous étiez dans les coulisses, nous avons inventé une histoire complètement folle ! Une histoire abracadabrante ! Une histoire à dormir debout ! Et votre objectif, Patrick, va être de reconstituer toute l’histoire ! Pour y arriver, il vous suffit de nous poser des questions au sujet de cette histoire incroyable, et le public vous répondra par « oui » ou par « non ». Allez-y, commencez à nous poser des questions, et essayer de reconstituer cette histoire qui, ne l’oubliez pas, est complètement extravagante ! »
Ma première question fut « est ce que ca se passe sur Terre ? » et le public répondit en chœur « ouiiii ! ». Puis : « Est-ce qu’il y a des Martiens ? ». Réponse : « Nonnnn ! ». Et ainsi, progressivement, je suis arrivé à reconstituer l’histoire. Un récit abracadabrant, effectivement : une guerre en Amazonie, avec des méchants pygmées et des hommes politiques véreux. L’animateur m’avait prévenu : c’était à dormir debout. Ce que je ne comprenais pas, c’est pourquoi le public était plié de rire chaque fois que j’arrivais à retrouver un morceau de l’histoire ou lorsque Christian Plantu reformulait ce que j’avais découvert. Puis je me suis installé dans le public pour assister au reste de l’enregistrement. Ce fut au tour du candidat suivant, puis d’une célébrité de l’époque, Jeanne Mas, de découvrir une histoire. Et tout le monde rigolait… A la fin de l’émission, l’animateur expliqua l’intérêt de l’émission : en réalité, il n’y avait pas d’histoire inventée par le public. C’était le candidat qui en inventait une. Le public se contentait de crier « oui » chaque fois que la question du candidat se terminait par un « e », et « non » dans les autres cas. J’avais donc imaginé tout seul mon histoire de forêt et d’homme politique… Comme dans un immense test de Rorschach. En connaissant le « truc », l’émission prenait une nouvelle dimension et le talent de Christian Plantu la rendait irrésistible. Jeanne Mas avait inventé une histoire de femme nue sous son manteau de vison qui prenait un bain. Elle a fait remarquer à Christian que le public avait besoin d’un psy pour inventer des histoires pareilles ! Christian a répondu qu’il faudrait en parler à la fin du jeu… Je n’ai pas raté, en tant que public, une seule émission de « conte à dormir debout », et une fois tous les enregistrements terminés, avant leurs diffusions bien entendu, je suis allé remercier Christian Plantu de m’avoir fait autant rire. Il me répondit qu’il m’avait déjà vu quelque part… Nous avons cherché pendant un moment à quelle occasion nous aurions pu nous rencontrer, mais en vain. J’ai soudain compris : ma seule apparition publique, c’était dans Gay Pieds Hebdo… Je lui ai dit en rigolant : « Ca y est, je sais où vous m’avez vu ! Mais je vais vous avouer quelque chose : on ne dirait vraiment pas que vous êtes un peu. Euh… « Village People » … » Il répondit également en riant ; « Gay Pieds Hebdo » ! Il m’invita à manger et, malgré le contexte, me pardonna sans problème mon hétérosexualité. Quand la Cinq a coulé, Christian est devenu taxi, lassé, d’après ses propres mots, de « frapper aux portes ».
En ce qui me concerne, je crois que j’ai passé le plus clair de ma vie à frapper aux portes, pour atteindre des objectifs professionnels, ou pour toucher des cœurs. A toujours vouloir progresser, on en devient un éternel chômeur, un éternel mendiant, un éternel célibataire…